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Les vélos du cœur

Date
Avril 2020
Reportage
18h30, rue d’Obernai à Strasbourg, le 23 avril 2020.
Seul, assis sur un petit tabouret, Helidon se roule une cigarette sous les rayons du soleil. Il s’apprête à « monter la garde » devant l’Hôtel Eden où il est hébergé, pour que le ballet qui va débuter dans quelques minutes se déroule sans accroc. Arrivent Raphaël et Julien sur leurs vélos, chargés de bouteilles d’eau minérale récupérées dans un supermarché de la ville. Puis des frères séminaristes viennent livrer 60 repas qu’ils ont préparés dans l’après-midi. Petit à petit, d’autres personnes se présentent, leurs sacs pleins de repas, cuisinés par des particuliers ou des restaurateurs, de masques cousus le jour même, de gants, de barquettes en aluminum… Il y a là Marie, Gwennaelle, Sonia, Pablo, Isabelle et d’autres encore. La petite dizaine de bénévoles se retrouve dans la salle à manger de l’établissement pour trier et répartir un total de plus de 160 repas. Dans la cour de l’hôtel, des enfants improvisent une petite partie de foot avec Noureddine, le réceptionniste. Une partie des repas est destinée aux personnes hébergées par l’État dans des hôtels comme ici, principalement des familles déboutées de la demande d’asile, sans ressources, sans domicile. Le reste sera distribué dans la rue. Notre groupe de volontaires s’apprête à partir en maraude. Ce sont Les Vélos du Coeur. Les cyclistes se séparent. Le gros de la troupe va livrer deux autres hôtels à proximité de la gare. Pablo part de son côté pour récupérer une dizaine de burgers offerts par un restaurateur de Strasbourg qu’il connaît bien. Ils ont fait connaissance parce qu’il est livreur à vélo pour une plateforme en ligne depuis plusieurs années. En chemin il distribue déjà quelques repas à des personnes sans domicile avant de retrouver les autres cyclistes pour la suite de la tournée. Partout, ils sont accueillis avec joie et les remerciements pour ce qu’ils font sont nombreux et sincères. La vie de SDF est encore plus difficile en temps de confinement. Alors des burgers chauds, un temps d’échange bienveillant, cela n’a pas de prix. Mais cette distribution alimentaire dans les rues de Strasbourg n’est que la partie visible d’une organisation colossale, mise en place spontanément depuis le début du confinement, et qui permet à présent d’assurer chaque jour la livraison de 150 à 200 repas, deux fois par semaine des distributions de vêtements et de produits d’hygiène, de produits de puériculture, etc. Les Vélos du Coeur ne sont pas une association. Juste un collectif de volontaires, d’associations et d’entreprises. Organisés à partir d’un groupe sur les réseaux sociaux, ils permettent la mise en relation de toutes les bonnes volontés. « Vous voulez cuisiner ? » Ils livrent à domicile les denrées récupérées dans des supermarchés, ainsi que des barquettes, des masques en tissu, des couverts en plastique… Pas besoin de sortir : ils viendront ensuite récupérer les repas pour les distribuer. Pour que cette logistique fonctionne, il leur a fallu trouver une chambre froide (mise à disposition par le Foyer Saint Paul), un camion frigorifique (mis à disposition par le Secours Populaire), un garage où stocker les vêtements et autres dons des particuliers. Rien ne les arrête. La semaine prochaine ils prévoient d’assurer une distribution hebdomadaire en plus, réservée aux étudiants, eux aussi très précarisés par la crise. Si cette organisation fonctionne c’est que son principe est simple et qu’il répond parfaitement aux contraintes du contexte actuel : mettre en relation l’offre et la demande grâce à une équipe de coursiers, qu’ils circulent à vélo ou en voiture. Les Vélos du Coeur s’inspirent directement des plateformes de livraison avec une agilité déconcertante. Nous sommes allés à la rencontre de ces personnes pour vous livrer un récit photographique de cette aventure hors normes qui permet aux strasbourgeois de faire face à la crise en restant actifs et solidaires.